La femme au corbeau
Depuis aussi loin que se souviennent les majestueux chênes de la vaste forêt, rodait, au plus profond des bois millénaires au pied de sages montagnes perçant le ciel de leur sommet d'argent, cette femme et son corbeau. Elle était de cette beauté que seules les plantes sauvages et rares possédaient, ce charme presque surnaturel que n’ont que ces animaux farouches et fiers, gardiens de ces temples silencieux où la nature, magnifique et cruelle régnait en maîtresse absolue. Cette femme était de cette nature indomptée et méconnue du monde misérable des hommes. Elle avait au plus profond de son regard cette force impartiale que la nature lui avait autrefois léguée à l'aube des temps, lorsqu’elle avait dû créer une protectrice de ce royaume verdoyant. Depuis ces jours immémoriaux, la jeune femme, jamais ne changeant à l'image du temps, parcourait l'immense forêt accompagnée de son corbeau, grand et puisant oiseau qu'Odin avait choisi comme messager de son savoir. Ce dernier, dans la langue que seuls les anciens druides connaissaient l'usage, la guidait dans son éternelle tâche de protéger la forêt, sanctuaire perdu des êtres de magie, cœur du monde, jardin secret de nos rêves. Et par les nuits claires d’automne, quand la multitude des feuilles irisées laisse place aux étoiles et aux histoires qu'elles nous racontent dans velours des cieux ; la femme au corbeau, perchée à la manière de son oiseau; chantait comme eux au clair d'une Lune bienveillante, les paroles des chants connus jadis, le vent portant par delà les montagnes ces paroles délicates et douces dont les arbres se nourrissent. Aujourd'hui encore, alors que l'antique monde des arbres et des elfes se meurt, on peut percevoir, par delà les vents hivernaux chargés de neige, les chants mystérieux et envoûtants de la femme au corbeau.